La ballade des mots

La ballade des mots

Des recherches intrigantes

La première feuille constituait un résumé d’une période historique, comme une introduction sans développement dont le titre me laissa perplexe :

« Les sorcières en France, mythe ou réalité ? 

    La notion de sorcellerie existe depuis l'antiquité où elle était punie comme un délit classique. Cependant, c’est sous l’influence du Christianisme que la vision que l’on en avait prit une toute autre direction.

    Les textes religieux n’acceptaient que deux sortes de miracles : ceux de Dieu et ceux du Diable. Ainsi, toutes les personnes possédant des « dons » de guérison ou bien encore de voyance devaient être accusées de collaboration avec le Diable. C’est ainsi qu’à partir du XIIe siècle l’Europe a été témoin d’une grande chasse aux pratiques magiques initiée par l'Église catholique, qui se poursuivit jusqu’à la fin du XIIIe siècle.

    Historiquement la « chasse aux sorcières » débuta dans le courant du XVe siècle et atteint son apogée entre 1580 et 1630 où le nombre de victime s’est accru de manière exponentielle.

    La question qui se pose est alors la suivante : pourquoi l'Église catholique, rapidement relayée par le pouvoir civil a décidé, à ce moment là, de se lancer dans une chasse acharnée aux sorciers et aux sorcières ?

    Le contexte historique de l’époque en est indiscutablement la principale cause. En effet, la situation était, en ces temps-là, désastreuse et le monde paysan cherchait un responsable à trois siècles de malheurs. A la guerre de Cent ans qui avait grandement ébranlé l’équilibre déjà fragile de l’Europe s’ajouta l’épidémie de la Grande peste au milieu du XIVe siècle qui décima une grande partie de la population. Puis, vint s’ajouter à cela un temps pour le moins capricieux, devenant subitement très froid et ayant pour conséquences dramatiques pour les paysans pertes de bétail et dépérissement des cultures. Le bouc émissaire, sous l’influence des élites, fut rapidement trouvé : les sorcières.

    C’est lors de ce XVe siècle qu’apparaît le terme même de sorcière, terme qui sera officialisé par la promulgation d’une bulle papale du pape Innocent VIII le 5 décembre 1484 organisant la chasse aux sorcières »

Mon père détaillait ensuite la procédure d’arrestation des sorcières dont le résumé était au final très simple et pour le moins désarmant : traque, arrestation sur simple délation, torture et pour finir, la majorité du temps pendaison ou crémation. Officiellement la chasse se termina en France grâce à un Édit de Colbert de 1682, fixant au final le nombre de morts à cinquante mille. Tous ces innocents condamnés sur témoignage de leur entourage (dont la plus célèbre reste Jeanne d’Arc) étaient en général des personnes nourrissant une mauvaise réputation ou se distinguant des autres parce que trop laides, trop belles, trop pauvres…

Cette histoire, bien que passionnante ne m’éclairait pas quant à la destination du voyage de mes parents, je commençais même à douter qu’il y ait un rapport entre les deux. Il aurait cependant pu y avoir un lien, mais je refusais d’y croire, entre cette ébauche d’article et le contenu des lettres anonymes.

Je m’attardai donc sur le deuxième document qui composait le dossier. Il s’agissait d’un petit carnet. En en survolant les pages je compris immédiatement de quoi il s’agissait, j’avais fréquemment vu mon père travailler sur ce genre de support, il en avait toujours un sur lui et y notait toutes les idées qu’il avait sur ses sujets d’étude, les informations qu’il obtenait afin de ne rien oublier avant de tout mettre au propre.

Je l’ouvris à la première page, les premiers mots griffonnés étaient «  Henri Cauchon, Bordeaux ». Je tentai de décrypter les phrases suivantes, écrites rapidement, sans forcément de liens entre elles, j’en compris néanmoins l’essentiel.

Dans ses recherches sur cette période sombre de l’histoire de France, mon père avait eu connaissance de ce certain Henri Cauchon qui semblait détenir des informations importantes pour son étude. La suite de ma lecture me permis de découvrir, qu’après des semaines de recherches mon père avait obtenu l’adresse exacte de cet homme et qu’il s’était rendu chez lui. Il le décrivait comme un personnage fantasque, très âgé que la raison semblait quitter par moment. A son arrivée l’homme avait catégoriquement refusé de le recevoir et de partager ses connaissances avec lui prétendant que l’on avait assez fréquemment pris sa famille pour des déments à cause de ses croyances en cette légende et que maintenant que les chose s’étaient calmées il préférait ne plus en parler.

A force de persuasion mon père parvint tout de même à lui arracher l’histoire. Le vieil homme lui expliqua qu’il acceptait finalement sa demande car il n’avait aucun héritier à qui la transmettre alors qu’elle constituait un véritable héritage familial qui, malgré ses conséquences sur la réputation de sa famille, ne devait pas tomber dans l’oubli. Il émit cependant une condition que mon père accepta : que jamais son nom ne soit cité dans l’article de mon père. Il désirait seulement rester anonyme. Il ne voulait plus que son nom soit associé à cette histoire, il se sentait trop vieux pour supporter les moqueries auxquelles ses aïeuls avaient eu droit.

Le vieillard expliqua alors son anecdote sur la chasse aux sorcières dont avait été témoin la France et même l’Europe vers le XVème siècle. Il raconta qu’il descendait d’une famille qui était devenue célèbre à cette époque là et qui, de générations en générations se transmettaient l’histoire de leurs ancêtres. Apparemment ils n’étaient plus très nombreux à en avoir connaissance, la tradition orale s’était perdue dans leur famille, il craignait même de n’être le dernier, d’où son accord pou la partager avec mon père.

Sa famille connue la célébrité grâce à Pierre Cauchon, évêque de Beauvais dans les années 1430. Ce fut lui qui fut chargé des auditions de Jeanne d’Arc lorsque celle-ci fut accusée d’hérésie et de sorcellerie pour avoir entendue des voix de Saints. Après un procès qui dura environ trois mois à Rouen ; le 30 mai 1431 la coupable fut brûlée.

Mais ceci était l’histoire que tout le monde connaissait, l’homme avait ensuite narré à mon père une toute autre histoire. Il lui expliqua qu’en temps qu’évêque en ces temps-là son ancêtre avait eu vent de nombreuses histoires et avait même été témoin de certains évènements. A ce moment là, l’élite du pays savait parfaitement que les nombreuses personnes jugées coupables n’étaient en réalité que des innocents, juste des marginaux pour la plupart. Cependant, leurs certitudes furent ébranlées lorsqu’un membre du clergé, son ancêtre, affirma avoir vu une femme tenir une boule de feu entre ses mains et la lui lancer dessus lorsqu’elle l’avait vu. Après avoir couru et s’être caché durant plusieurs jours il s’en était allé narrer cette histoire à qui voulait bien l’entendre. Peu de personnes le crurent au départ, mais les témoignages de la sorte vinrent à se multiplier et la folie meurtrière accompagnant cette chasse s’accentua nettement. Les sorcières existaient réellement et il fallait les éliminer même si cela devait se faire au prix de nombreuses vies d’innocents. Elles étaient l’ennemi public numéro un et son aïeul se fit un plaisir de participer activement à cette chasse. Cependant, sa vie fut bouleversée le jour où son plus proche ami, Jean Mayol, lui avoua s’être épris de l’une de ces créatures : Catherine. Il tenta de lui expliquer qu’elle n’était pas un monstre, qu’elle était bonne, qu’il n’y avait pas meilleure âme que la sienne et le supplia de l’épargner. Pierre Cauchon ne pu cependant pas laisser passer un tel acte de traîtrise de la part de son ami, il l’accusa de pactiser avec le diable, le dénonça et son meilleur ami fut condamné à la pendaison par sa faute. Entre temps, il se mit à la recherche de l’affreuse. Lorsqu’il la rencontra il feint de se lier d’amitié avec elle, prétendant que Jean avait du s’absenter et l’avait prié de veiller sur elle durant son absence. Par son geste, il attendait que la sorcière lui avoue le nom de ses complices pour qu’il puisse les dénoncer et ainsi devenir un homme puissant, l’homme qui aurait à lui seul permis de débarrasser le pays d’une grande partie de ses sorcières.

La naïve dont il s’était rapproché, le pris pour confident. Elle lui narra l’histoire de Jeanne, sorcière écervelée persuadée que ceux de son espèce pouvaient dévoiler leurs pouvoirs sans craintes si la population réalisait qu’ils n’étaient pas mauvais. Elle avait donc décidé de transmettre ses visions aux autorités royales pour « sauver la France de l’invasion anglaise » comme elle se plaisait à le dire. Elle prétendit cependant que ses visions provenaient de Saints espérant ainsi obtenir le soutien de l'Église Or, Catherine expliqua qu’elle avait eu vent de son arrestation ce qui alarmait leur population, car si la chasse existait bel et bien, jamais aucune sorcière ni aucun sorcier ne s’était fait prendre. Elle craignait que Jeanne, si elle était condamnée, ne s’échappe des flammes par sa magie et ne dévoile ainsi la réelle existence du monde magique aux yeux du monde.

Cauchon revint la voir à de multiples reprises afin de découvrir des noms de sorciers et sorcières, toujours dans sa quête de gloire et de reconnaissance.

Un jour, Catherine lui fit parvenir une lettre dans laquelle elle expliquait qu’elle et ses « amis » devaient quitter le pays car la situation devenait trop incertaine pour leur survie. Elle lui demandait de s’excuser auprès de son unique amour Jean lorsqu’il le reverrait et de lui demander de la rejoindre sur l’île de Romée, qu’il comprendrait.

A la lecture de ces mots, Cauchon alerta immédiatement les autorités mais il était trop tard, Catherine avait disparu avec tous ceux de son espèce.

Le vieil homme avait ensuite précisé à mon père qu’aucune carte ne faisait apparaître cette mystérieuse île de Romée, mais que sa famille avait toujours supposé qu’elle se trouvait au large de l'océan Atlantique mais qu’ils n’avaient jamais tenté de la trouver car depuis toutes ces générations ils nourrissaient tous une grande peur des sorciers et sorcières dont ils étaient tous convaincus de l’existence.

Deux traits horizontaux séparaient ce récit des notes suivantes. Celles-ci étaient incompréhensibles mais j’en retirai dans l’ensemble qu’elles constituaient le résultat de nombreuses recherches de mon père sur la localisation de cette île."



03/10/2012
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