La ballade des mots

La ballade des mots

De l'agneau au loup

 

 

 

 

 

 

 

De l’agneau au loup

 

Parce que la réalité est toute autre que ce que les médias aiment nous faire croire, voici quelques mots qui pourraient vous faire pénétrer dans les profondeurs abominables de la vie réelle.  

 

J’étais assise dans le noir de ma penderie, seul le bruit de ma respiration saccadée venait entrecouper le silence de plomb qui y régnait. Il avait découvert ma bêtise, je savais que j’aurai du me montrer plus prudente, maintenant j’allais être punie.

Le son de ses pas lourds sur le carrelage du couloir commençait à se faire entendre, et au fur et à mesure qu’il s’intensifiait, la terreur que je ressentais faisait de même.

« Emma ! Viens par ici ! », cria le loup.

Le son de sa voix glaça mon sang dans mes veines.

Tétanisée, toujours assise sur le sol, les jambes repliées contre mon torse, j’attendais l’heure de mon châtiment, j’attendais le moment où il me trouverait, car ce moment allait arriver, malgré mes insignifiants efforts pour me cacher, il y parviendrait, c’était une évidence qui provoquait comme à chaque fois une terrible douleur dans mon ventre.

Le mince espoir qu’il ne me trouva pas s’envola en fumée quand le bruit de ses pas s’arrêta devant la porte. Lorsque j’en vis la poignée se tourner, j’eu des sueurs froides et su que plus rien ne pourrait changer le cours des choses, j’allais une nouvelle fois devoir subir sa rage.

Mon regard était toujours fixé sur cette poignée, que je voyais tourner avec une grande lenteur, comme si mon bourreau désirait profiter au maximum de son plaisir de m’avoir trouvé ou bien de la peur qu’il aimait lire sur mes traits lorsqu’il y arrivait ou plus certainement des deux à la fois.

« Clic » La porte était ouverte. Ce son, je le connaissais, je le détestais car il signifiait que mon heure était arrivée. Il entrouvrit la porte de quelques centimètres, suffisamment pour qu’il remarque ma présence, suffisamment pour que je puisse lire l’expression de victoire sur son visage. J’étais tétanisée.

« Ah ! Te voilà enfin ! » Dit-il accompagné d’un rictus sarcastique.

A ces mots, une odeur que je connaissais bien, envahit le petit espace de ma cachette, celle du whisky et du tabac froid : l’odeur du loup.

Je me tassai dans l’angle du mur, me tenant ainsi le plus loin de lui possible, même si cela ne changerait rien en définitive, c’était mon instinct de survie qui prenait le contrôle de mon corps.

Subitement, le loup ne sembla plus vouloir profiter de chaque secondes qui s’écoulaient, sa patience avait des limites, ce qu’il voulait maintenant, c’était passer à l’action. Il ouvrit la porte en grand, me laissant voir son grand corps d’homme dans l’encadrement.

Le moment était venu.

Il se baissa juste assez pour pouvoir saisir mon poignet, et lorsqu’il eut atteint son objectif, il le serra avec une telle intensité que des fourmillements envahirent mes doigts et qu’une douleur fulgurante traversa mon membre à l’endroit où il exerçait sa force.  

Je tentais en vain de me débattre, même s’il gagnerait, je ne voulais en aucun cas lui faciliter la tâche, j’y mis tout mon cœur, gesticulant dans tous les sens, mais comme d’habitude mes efforts étaient vains. C’était perdu d’avance, mais qu’aurai-je pu faire de plus ? Moi, treize ans, quarante kilos, face à cet homme…

Il me traina sans soin ni culpabilité sur le sol de ma chambre jusqu’à un espace plus dégagé où il me saisit par le col de mon t-shirt et me souleva à une dizaine de centimètres en dessus du sol, suffisamment pour situer mon regard face au sien.

Le corps raidit par la peur, je cessai mes tentatives pour me défendre, je devrai comme à chaque fois serrer les dents en attendant que tout cela se passe, surmonter ma douleur et espérer qu’il n’irait pas trop loin, qu’il saurait s’arrêter à temps.  

Ses yeux étaient injectés de sang et son haleine toujours aussi lourde atteint mes narines de plein fouet lorsqu’il reprit la parole.

« Tu… tu as cassé le vase de ta mère… tu me pensais idiot ?... Tu croyais que j’allais pas m’en rendre compte ?... Je sais pas c’qui nous est passé par la tête avec ta mère quand on a décidé d’faire un gosse ! Si on avait su que tu serai comme ça, on se serait ravisé ! T’es vraiment débile ma pauvre fille ! Tu es la honte de la famille… »

Ses vomissures oratoires étaient sans doute la chose dont j’avais le plus de difficultés à faire abstraction. Ses gestes d’une ultime violence étaient déjà durs à surmonter mais ne touchaient que la surface de mon corps ; ses mots par contre étaient comme des poignards qui atteignaient directement mon cœur et mon âme et les transperçaient, les lacéraient. Les entendre me détruisait au point que j’en venais parfois à espérer qu’il frappe suffisamment fort pour que je ne me relève jamais.

Comme toujours, ses paroles laissèrent rapidement place aux gestes, et avec une extrême violence il m’asséna d’abord un coup au visage, chose étonnante car à l’accoutumée, il prenait bien soin de ne laisser aucune marque visible de son passage. A l’impact, il me lâcha et je m’écroulai de tout mon long sur le sol frais de ma chambre. Une douleur fulgurante traversa ma pommette et ma vision se troubla par mes larmes que je retenais pourtant de couler. Oui, je ne voulais pas pleurer, j’étouffais également les cris de douleurs qui me nouaient la gorge… j’avais ma fierté, je ne voulais pas qu’il voit que je souffrais, pour rien au monde je ne lui aurait fait ce plaisir.

Un coup de pieds dans le ventre plus tard, alors que j’étais toujours allongée sur le sol, comme pour marquer une nouvelle fois sa supériorité, il s’en alla, me laissant pour morte. Ce n’est qu’à ce moment là que je laissai mes émotions s’exprimer, lorsque j’étais seule. Des larmes de rage ? De tristesse ? De douleur ? Il y avait certainement des trois.

J’avais, une fois, décidé d’en parler lorsque j’avais vu aux informations qu’un ado de mon âge avait succombé aux mauvais traitements de ses parents. Pourtant, je m’étais ravisée. Cela vous semble fou ? Pour moi ça ne l’était pas, car avec lui, quand la crise était passée, mon esprit avait toujours tendance à effacer les moments difficiles. C’est pourquoi, alors que j’allais me confier, me sont revenus en mémoire les autres moments, plus agréables, ceux qui constituaient les quatre vingt dix pour cent de mon temps passé avec lui, avec mon vrai père, l’agneau, culpabilisant, aimant, doux et attentionné. Comment pourrai-je blâmer l’agneau alors que c’est le loup qui agit ? Comme me disait ma mère, l’agneau est malade, ce n’est pas de sa faute, il faut l’aider, l’alcoolisme se soigne. Serait-ce alors l’aider que de le dénoncer ? Devais-je risquer de détruire ma famille et vivre un enfer définitivement à cause de la présence ponctuelle du loup ? Bien évidemment, tourné de cette manière, la réponse est non, c’est pourquoi je m’étais ravisée. De toute manière qui m’aurait cru ? Tout le monde connaissait l’agneau, personne ne connaissait le loup.

Le lendemain au collège, et malgré tous mes efforts pour le dissimuler, personne ne pu ignorer l’hématome violacé qui couvrait une grande partie de mon visage. Comme tous ceux dans mon cas, je prétendis une chute. Certains y crurent, d’autres comme mon professeur de français, pas du tout. C’est ainsi que, sans que je sache ce qui s’était tramé dans mon dos toute la journée, je fus, en fin d’après midi, convoquée chez l’assistante sociale du collège.

Cette petite femme enrobée d’une vingtaine d’années m’avait accueilli, et après presque une heure de discussion, voyant que je n’étais pas prête à dire la vérité, elle m’avait libéré.

Le soir, je rentrai chez moi, stressée par cette journée, de crainte que la vérité ne soit découverte. Lorsque je passai la porte d’entrée, je su que quelque chose ne tournait pas rond, j’en avais le pressentiment.

Je m’avançai vers la cuisine et y découvrit avec effroi le corps inanimé de ma mère étendu sur le sol. Je n’eu pas le temps de m’approcher d’elle qu’une main massive attrapa mon col et m’attira en arrière avant de me balancer sur le carrelage du couloir, entraînant avec elle l’odeur du loup.

« Sale petite merde ! Qu’est-ce que t’es allé raconter à ton école ? Ta mère a reçu un coup de fil de l’assistante sociale !... »

Elle avait prit les devant, lui avait téléphoné, mais pourquoi avait elle fait ça ? J’aurai du lui dire la vérité, j’étais la cause de cette crise.

« Comment t’as pu faire ça petite conne ? Ta mère allait me quitter par ta faute ! Tout est de ta faute ! Tu as gâché nos vies et à cause de toi ta mère est morte ! »

« Maman ! » criai-je à plusieurs reprises, la boule au ventre et dans un état de panique totale dans l’espoir qu’elle me fasse un signe prouvant qu’il avait tort. Je tentai même de me relever mais il me retint au sol en frappant avec force son pied contre ma poitrine.

« Ca devait pas s’passer comme ça » marmonna le loup plus pour lui que pour moi.

Je sus à partir de ce moment là que tout était différent des autres crises, il avait dépassé les limites.

Il me souleva à peine du sol et me frappa comme jamais prouvant que les autres fois il maîtrisait sa force ; et si à l’accoutumé ses accès de rage étaient plutôt brefs, la lueur de folie qui brillait dans ses yeux jaunis par l’alcool me permirent rapidement de comprendre qu’il ne s’arrêterait pas. Je fermai les yeux, attendant que le moment passe, quelle qu’en soit l’issue. Je n’essayai même pas de me défendre, c’était peine perdue.

Je serrai les dents à chaque coup pour ne pas hurler. Je subissais chaque douleur, au visage, sur le ventre, mes bras, mes jambes, ma tête, chaque partie qui lui était accessible. J’attendais que tout s’arrête, car au bout du compte, cela s’arrêterait, soit parce que j’aurai cédé, soit parce qu’il aurait réussi à ne pas céder face au loup qui vivait en lui ? Ce serait lui ou moi.

« Je suis désolée » balbutiai-je avant de sentir un poids opprimant dans ma poitrine alors que je luttai pour prendre les dernières inspirations de ma vie. 

 

Aujourd’hui, de là où je suis, je sais que je n’aurai pas du être désolée. Rien n’était de ma faute. Et s’il est trop tard pour agir dans mon cas, il n’est peut-être pas trop tard pour vous.



30/09/2012
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